Irrévérencieux, drôle,
pathétique, punk, trash mais aussi souvent tendre, le cinéma de
Gustave Kervern et Benoît Delépine, c'est une quinzaine de
collaborations au format court et long qui débutèrent en 2004 avec
leur premier long-métrage, Aaltra.
Poursuivant leur carrière d'interprètes, de réalisateurs et de
scénariste tout au long de ces vingt dernières années, Gustave
Kervern a cette année fait une petite entorse à leur association en
réalisant seul Je ne me laisserai plus faire.
Débutant ainsi pour la première fois une carrière solo, l'homme
choisit la petite lucarne plutôt que le grand écran. Un acte qui
revêt une forme de modestie pour celui qui aux côtés de son
éternel compagnon a toujours partagé ses humeurs, ses envies et sa
délirante imagination. En résulte une œuvre qui loin d'être
amoindrie par son statut de téléfilm reste au contraire dans la
lignée des précédents travaux des deux hommes. Produit par la
chaîne Arte
sur laquelle fut diffusé Je ne me laisserai plus
faire pour
la première fois le 29 novembre dernier et par la société de
production française Les
film du Worso
créée en 2005 par la veuve du cinéaste Maurice Pialat, Sylvie
Pialat, le téléfilm de Gustave Kervern est l'un de ces prodigieux
instants de cinéma lors duquel son auteur et ses interprètes
permettent aux spectateurs de lâcher du lest. De mettre de côtés
leurs emmerdes. De penser à autre chose aussi court que puisse être
le moment de liberté auquel ne sont surtout pas conviés le Wokisme,
le mouvement #Metoo
ou la cancel culture. Une œuvre qui dénote au sein d'une majorité
de comédies tellement lisses que l'on ne parvient jamais à y
adhérer. Je ne me laisserai plus faire
signe un retour aux sources duquel lui et Benoît Delépine ne se
sont cependant jamais libérés. Par retour aux sources, il faut
comprendre par là que le choix des interprètes de son téléfilm
n'est pas anodin et permet de retrouver toute une clique de
personnages qui dans les années quatre-vingt dix et au début des
années 2000 ont fait partie intégrante du paysage télévisuel. Les
Deschiens,
personnages créés par Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff en
1978. Si Je ne me laisserai plus faire
ne réunit pas l'intégralité des représentants de la troupe,
Gustave Kervern permet malgré tout d'y voir de nouveau réunis
Yolande Moreau, Philippe Duquesne, Olivier saladin et Olivier Broche.
La première incarne le personnage central du récit.
Avec
cet esprit doux-amer qui caractérise généralement le cinéma de
Gustave Kervern et Benoît Delépine, le premier insuffle à son
œuvre un esprit d'anarchisme dans lequel l'émotion n'est jamais
écartée. Yolande Moreau interprète donc le rôle d’Émilie. Une
septuagénaire vivant dans un Ehpad qui sent que le vent tourne
depuis que son époux vient de mourir. Et comme Alain assurait le
paiement des frais de logement de sa femme, celle-ci prend la poudre
d'escampette pour ne pas avoir à payer les reliquats ! Après
un dernier adieu à l'agente de nettoyage Lynda (Laure Calamy),
Émilie se lance dans une mission qui selon Étienne (Olivier
Saladin) attend son amie et voisine de chambrée. Une mission d'un
genre très particulier puisque dans un petit carnet, la
septuagénaire a noté les noms de tous ceux qui lui firent du mal
dans le passé. Bien décidée à se venger, elle s'en prend tout
d'abord à Cédric Fostinelli (Philippe Duquesne) qui à l'école et
avec l'aide de ses camarades de classe avaient contraint Émilie de
leur montrer sa poitrine. Puis vient le tour de son ancienne logeuse,
Madame Gabino (Aurélia Petit) qui malgré de nombreuses demandes du
couple au temps où Alain était encore en vie a toujours refusé de
faire les travaux qui leurs auraient permis de vivre confortablement.
Ensuite, vient le tour de l'ex employeur d’Émilie incarné par
Olivier Broche. Un concessionnaire qui n'hésita pas à la licencier
le jour où il apprit qu'elle était enceinte ! L'occasion pour
elle de découvrir que durant son jour de repos, Lynda travaille pour
ce petit homme médiocre. L'occasion ainsi pour ces deux femmes qui
se sont toujours appréciées de faire route ensemble et ainsi se
venger l'une et l'autre des quelques salopards qui ont croisé leur
chemin. Comme on peut le constater, Je ne me
laisserai plus faire
n'est pas simplement l'occasion de redécouvrir la vieille garde mais
aussi quelques têtes bien connues du cinéma français actuel. Laure
Calamy, donc. Mais également Jonathan Cohen dans le rôle de Tony,
le compagnon très intéressé de l'ex belle-fille d’Émilie qui de
son côté est interprétée par Marie Gillain. L'un des complices de
Groland,
Francis Kuntz, incarne quant à lui le rôle d'un commissaire de
police tandis qu'Anna Mouglalis et Raphaël Quenard interprètent un
duo de flics chargés d'enquêter sur les agissement d’Émilie et
de sa nouvelle complice Lynda ! En forme de Road Movie féministe
qui dézingue le sexe masculin, Gustave Kervern se moque ouvertement
de la politique instaurée lors du Covid-19
(''Je suis désolé
mais l'masque, c'est pas autorisé !'')
et de certaines institutions comme le sort accordé aux patients dans
certains Ehpads. Bref, c'est du Kervern pur jus. Un vrai bonheur à
découvrir d'urgence pour celles et ceux qui n'ont pas encore eu
cette chance...